Depuis toute petite, aider les autres à s’épanouir est presque une manie chez moi. Rien de m’enchante davantage que de voir un potentiel se concrétiser sous mes yeux, un humain dépasser ses propres limites et s’ouvrir un nouveau monde de possibilités. J’ai même le vague souvenir d’avoir déclaré un jour que je « cultiverais des humains » quand je serais grande. Bref, il semblerait que j’aie toujours eu un faible pour la beauté émanant de ceux qui repoussent leurs limites et cherchent sans cesse à devenir meilleurs.
Il était donc tout naturel pour moi de travailler dans une école, le lieu traditionnellement consacré à la croissance et au développement personnels.
En 2000, je suis me suis tenue devant ma première classe remplie d’élèves. Au fil des semaines et à ma grande surprise, mon malaise est allé grandissant. Il y avait quelque chose dans mon rapport avec mes pousses d’humains qui ne me convenait pas. Mon seul rôle consistait à leur transmettre un programme de connaissances établi de longue date, quitte à le leur enfoncer dans le crâne malgré eux. Souvent surmenés, beaucoup de mes collègues voyaient les différentes questions, difficultés et personnalités des élèves comme des obstacles et non comme un terreau fertile pour l’apprentissage.
Il y a une énorme différence entre l’enseignement, celui que l’on reçoit passivement, et l’apprentissage, celui qui implique notre participation active et qui ne peut nous être imposé. Après tout, on n’a jamais fait pousser une fleur en tirant dessus.
Je me suis alors sentie coincée. Prise au piège dans une pépinière industrielle d’humains. Si c’était ça, l’enseignement, alors je ne voulais plus en faire partie. C’est à cette époque que mon professeur de philosophie de l’éducation m’a posé la question qui allait transformer ma vie :
« Pourquoi ne pas fonder ta propre école?»
Je n’avais jamais envisagé qu’on puisse être un professionnel de l’éducation sans travailler pour un établissement.
Ma propre école? Mon propre potager d’humains certifiés bio? Je n’avais jamais envisagé qu’on puisse être un professionnel de l’éducation sans travailler pour un établissement. Qu’un entrepreneur puisse participer à façonner l’avenir de l’éducation.
Génial! Je signe où?
Avant de proposer un changement radical, d’inspirer une révolution mondiale dans le domaine de l’apprentissage, je devais d’abord me poser certaines questions:
Qu’est-ce qu’un apprentissage réussi? Dans quelles conditions peut-il se réaliser? Et si chaque être a des besoins éducationnels propres, comment satisfaire ceux de 7 milliards d’humains?
J’ai passé les cinq années suivantes à étudier, observer et tenter de trouver les réponses à ces questions. En tant qu’étudiante en maîtrise à l’université de Harvard, productrice de baladodiffusions pour Learning Matters à New York, puis réalisatrice de documentaire en Irlande du Nord, où je me suis intéressée au système éducationnel post-Troubles.
Et c’est fou: dès l’instant où j’ai accepté que l’apprentissage pouvait se présenter sous une infinité de formes, j’ai commencé à le voir partout. Comme un musicien qui entend de la musique là où nous ne percevons que du bruit. Je me suis rendu compte que l’apprentissage se cachait un peu partout. Et surtout… sur les réseaux sociaux.
« J’essaye de me mettre à la méditation depuis quelque temps, mais honnêtement, je suis un peu découragée. Qui veut prendre un thé/café avec moi et me donner des conseils? »
Quand on tombe sur un os, qu’on est dans l’impasse, qu’on ne sait par quel bout prendre un problème ni comment combler le fossé entre ce qu’on est et ce qu’il nous faut devenir pour relever un nouveau défi, que fait-on?
Est-ce qu’on retourne à l’école dès qu’on a besoin d’apprendre quelque chose?
Certainement pas.
Vous, vous faites quoi? Vous vous adressez à un ami, vous profitez de son expérience. Vous parlez à quelqu’un qui a connu la même situation.
Et si une simple conversation était finalement un mode d’apprentissage moderne? Si chacun de nous pouvait enseigner aux autres, en partageant ses expériences, ses réussites, ses échecs, et toutes les leçons qu’il en a tirées? Si on décidait qu’un échange entre deux êtres humains était une source de savoir aussi légitime qu’une autre? C’est ainsi qu’est né e180, avec l’objectif de transformer les modes d’apprentissage humains, de les rendre plus autogérés et plus collaboratifs.
C’était en 2008. Nos avions une vision, il nous fallait un produit.
La création d’e-180.com et de Braindate
Il m’a fallu quelques années pour passer de l’enseignement à l’entrepreneuriat technologique et réunir une équipe de bénévoles qui créerait la première esquisse de notre produit. Nous avons donc lancé la version bêta de e-180.com le 27 octobre 2011, avec l’idée de créer le premier réseau social consacré aux rencontres en face-à-face et au partage de connaissances.

Nos objectifs étaient modestes: nous espérions entre 150 et 200 bêta-testeurs. 18 heures après le début de notre campagne de recrutement sur Twitter, nous en comptions 500. Au moment où la version bêta fut lancée, 5 000 personnes étaient inscrites sur notre liste d’attente. Nous avions mis le doigt sur quelque chose.
Au cours des mois suivants, nos utilisateurs se sont donné rendez-vous, principalement dans des cafés de Montréal, mais aussi à New York, Boston et Paris. Nous étions aux anges! Les gens se sentaient transformés par leurs braindates. En revanche, les chiffres ne décollaient pas: on ne recensait pas plus de 15 à 20 braindates par semaine. Comment faire augmenter l’engagement? Fallait-il investir d’énormes sommes d’argent en marketing? Lancer une offre de capital-risque aussi prématurément aurait pu compromettre notre mission. Fallait-il bombarder nos contacts de courriels? Créer une mascotte? Se rendre à SXSW?
Les événements : ces lieux magiques de rencontre et d’apprentissage
En 2013, notre destin a pris un nouveau tournant. Les organisateurs de C2 Montréal, un tout nouvel événement, nous ont contactés pour nous proposer de créer leur logiciel de B2B. Nous les avons remerciés d’avoir pensé à nous, mais nous avons poliment décliné : nous n’étions pas une agence de design pour le web. Notre technologie visait à faciliter l’apprentissage par les pairs à grande échelle. Le concept était « un peu trop hippie » pour leur public, mais ils ne fermaient pas complètement la porte.
Finalement, un deuxième appel, une voix au téléphone: « On fonce! »
Je garde un souvenir précis de notre lancement auprès des participants de C2, trois mois plus tard. Je me souviens de la première connaissance proposée par Scott Burns sur la plateforme. Puis une autre, et une autre… Mais encore fallait-il que les inscrits se rencontrent! Rapidement, les braindates se sont multipliées. À l’issue de l’événement, nous en avions généré 1 200. Bien plus en l’espace de 3 jours qu’en 18 mois d’existence. Quelle leçon devions-nous en tirer?

Au fil des ans, différents organisateurs d’événements rencontrés à C2 nous ont contactés: Airbnb, Amazon, Cannes Lions, re:publica, Salesforce ou encore TED, pour ne citer qu’eux. Aux quatre coins du monde, nos résultats étaient similaires. Nous avons alors compris que ces événements avaient quelque chose d’unique: ils créaient le contexte idéal, réunissant une masse critique de gens partageant un intérêt commun, un public captif et engagé à apprendre de nouvelles choses et rencontrer des pairs (les 5 clés d’une communauté d’apprentissage dynamique). Pourtant, dans la plupart des conférences, les participants sont livrés à eux-mêmes. Ils doivent se débrouiller pour pister les personnes à qui ils aimeraient parler, équipés d’un verre de vin pour seule boussole et en priant pour que les dieux de la chance soient de leur côté. Un miracle peut se produire… ou non. Ce que nous offrons aux participants d’un événement, c’est la possibilité de définir intentionnellement ce qu’ils veulent apprendre et auprès de qui. Ces conférences ont donc le pouvoir non seulement d’accroître nos recettes, mais aussi de soutenir notre mission première.
Ce que nous offrions aux participants d’un événement, c’était la possibilité de définir intentionnellement ce qu’ils voulaient apprendre et auprès de qui.
Démocratiser les braindates
Notre vision va au-delà des événements. Notre but reste de transformer radicalement la façon dont les humains apprennent à travers le monde, surtout là où l’on ne conçoit encore d’enseigner que dans des salles de classe. Et si nos entreprises avaient la responsabilité de permettre aux adultes de s’épanouir? Si nos communautés s’engageaient à pousser nos enfants vers la réalisation de leurs rêves, des plus immédiats aux plus lointains? Si nous utilisions nos technologies numériques pour offrir aux réfugiés des connaissances et des opportunités d’avenir?
Bref, comment faire naître un apprentissage autogéré et collaboratif au sein d’organisations et de communautés dans lesquelles des millions d’humains prendront plaisir à vivre et à grandir?
La plupart d’entre elles réunissent déjà 4 des 5 clés mentionnées plus haut en termes d’apprentissage collaboratif: celle qui fait défaut est l’Engagement. Dans la vraie vie, on ne peut s’attendre à ce que les gens compilent spontanément leurs connaissances et proposent de les partager avec leurs pairs. Il faut mettre en place un rituel, un moment privilégié et soigneusement pensé lors duquel on s’engage à se rassembler et à apprendre les uns des autres, tout comme on le fait lors d’un événement.
Allow any community leader, in schools or civil society, to create their own braindate events on any given day, to generate knowledge-sharing around the theme of their choice.
Dès cet automne, nous travaillerons main dans la main avec des partenaires Pionniers qui souhaitent transformer leur culture d’entreprise en intégrant le partage de connaissances à leur stratégie de formation et développement. En 2018, de nouvelles fonctionnalités sur Braindate permettront à tous les leaders communautaires, tant dans les établissements scolaires que la société civile, de créer leurs propres événements de braindating, n’importe quand, et autour du thème de leur choix, de l’intégration des réfugiés à Londres aux Montréalaises cheffes d’entreprise en passant par le développement du leadership à Beyrouth.

Aujourd’hui, je suis entourée d’une merveilleuse équipe passionnée et déterminée, dont chaque membre est tout aussi dévoué à notre mission qu’à sa croissance personnelle. Ensemble, nous créons un espace de travail où l’apprentissage collaboratif si cher à e180 est mis en pratique chaque jour, afin que chacun de nous puisse s’épanouir.
Lorsque nous aurons achevé cette transformation sur le plan personnel, nous serons prêts à nous lancer dans une aventure qui me tient à cœur depuis longtemps : l’ouverture de nos propres (non-)écoles, où adultes et enfants seront maîtres de leurs apprentissages et où la communauté sera une source de connaissances et d’inspiration puissante et légitime.
Restez à l’affût. On ne fait que commencer.
Publié précédemment sur We Seek — by e180.